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cahierscotentin
Description du blog :
actualité littéraire des Cahiers du Cotentin. Publications de Michel Lebonnois et évènements
Catégorie :
Blog Littérature
Date de création :
11.12.2006
Dernière mise à jour :
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Pour vos vacances

Publié le 03/07/2007 à 12:00 par cahierscotentin
Vos visites sont nombreuses en ce moment. En attendant la reprise des "Rencontres autour d'un Verre" le 28 septembre, dans un nouveau bar car Bruno et Colette ont vendu le "Gré du Vin", je vous offre pour occuper vos vacances un extrait de "DEROUTE - Ombres - Destins", en cinq épisodes : l'histoire de Julien et Sarah.

"Les gendarmes sont arrivés très tôt ce matin du lundi 16 mars 42 à la ferme de Brécey.

Quand Joseph, le patron, les a vus entrer dans la cour, il a pensé à la goutte, que le bagnard ou quelqu’autre jaloux l’avait donné. Mais non, les gendarmes lui demandent où est son fils Julien ; matois le bonhomme leur dit qu’il l’a envoyé aider son beau-frère de Saint-Pois qui a une coupe de bois dans la forêt de Saint-Sever ; il doit rentrer dimanche.
- “ Faudra nous l’envoyer !
- Qu’est-ce qu’il a fait ?
- Ordre des autorités ; tous les garçons de plus de 20 ans doivent se porter volontaires, sinon ils seront déclarés déserteurs.
- Pas pour se battre !
- Non, pour aller travailler pour les Allemands, en Allemagne ou en France, là où ils ont besoin d’ouvriers ; chaque jeune volontaire fera libérer un prisonnier.
- Mais j’ai besoin de mon fils !
- Vous êtes comme tout le monde.

Dans la soirée, Joseph est surpris de voir revenir seul le plus jeune des gendarmes, un grand gars au visage sympathique, bien qu’encore un peu gêné aux entournures dans son uniforme :
- “ Qu’est-ce que vous voulez encore ! Il est pas rentré, Julien, il ne rentrera que dimanche ! Et puis qui êtes-vous, je ne vous ai encore jamais vu, que deux fois aujourd’hui ?
- Je viens d’arriver en poste ici il y a trois jours. Avant j’étais aux Pieux.
- Et alors ! C’est-y que vous faites comme le nouveau vicaire, vous faites la tournée pour connaître les gens ?
- Ce n’est pas vraiment ça, c’est rapport à votre fils ; je ne pouvais rien dire devant mon chef, mais là, j’ai fini mon service. Si je reviens, c’est pour vous dire que si vous ne voulez pas que Julien parte en Allemagne, je peux vous aider, mais il va quand même devoir partir ; s’il n’y a pas assez de volontaires, ça finira bien par devenir obligatoire, et alors ce sera la prison ou un camp pour les réfractaires. Si vous préférez qu’il aille aider la France, alors faites-lui passer ce mot qui lui explique comment faire ; surtout qu’il l’apprenne par cœur et qu’il le détruise. Il faut qu’il aille jusqu’à la gendarmerie des Pieux, et qu’il dise qu’il a un message de Fernand pour Victor, c’est un collègue. Il devra lui demander “ quand le papillon va t-il butiner ? ”. L’autre saura quoi faire. C’est écrit sur le papier, mais surtout qu’il ne le garde pas avec lui. Je lui ai préparé aussi une convocation pour se présenter à la gendarmerie des Pieux pour s’engager, au cas où il aurait un contrôle. Qu’il le donne à Victor ; il le détruira après son départ.
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
- C’est comme vous décidez ; mais c’est l’Angleterre ou l’Allemagne. Rester, il ne peut pas.
- Sûrement pas l’Allemagne !
- A vous de voir, mais ne tardez pas.

Dès que le gendarme est parti, Joseph est allé ouvrir le caveau à goutte.
- “ Julien ! Viens voir !
- Qu’est-ce qui se passe ? Sont-ils partis ?
- Tu disais que tu préférais partir en Angleterre plutôt que de t’engager avec les boches. Es-tu toujours décidé ?
- Plus que jamais.
- Alors, tiens.

Joseph lui donne les papiers du gendarme et lui explique les consignes :
- “ Tu dois apprendre par cœur ce qui est écrit sur ce papier ; n’oublie rien, surtout pas le mot de passe. Garde bien sur toi ta convocation, avec tes papiers d’identité pour les contrôles. Comment vas-tu aller ?
- J’ai des papiers en règle, une convocation officielle, rien ne m’empêche de prendre le train ou le car ; ne t’inquiète pas, je vais me débrouiller ; je ne comprends rien à tout ça, j’espère que ce n’est pas un piège. Mais au moins j’aurai essayé.

Il est parti dès le lendemain matin, emportant un petit baluchon de vêtements roulés dans une couverture et un sac de provisions, de quoi tenir deux ou trois jours. Par le car de sept heures et demie, il a rejoint Avranches où il a pris l’omnibus pour Coutances. A Folligny, le train doit attendre vingt minutes la correspondance avec le Paris-Granville ; Julien en profite comme les autres voyageurs pour se détendre les jambes et fumer une cigarette. Au moment où l’express s’immobilise dans le crissement des freins, il aperçoit à travers les jets de vapeur deux camions allemands qui arrivent sur l’esplanade de la gare. Alors qu’un groupe de soldats entre sur le quai, une jeune fille descend du train ; elle a l’air perdue à l’approche des soldats, regarde autour d’elle. Julien la trouve jolie bien que sa tenue, un gilet de laine sur une robe à fleurs, ne soit guère adaptée ni à la saison ni à la région ; il pense qu’elle doit venir de Paris. Elle est menue, des cheveux châtains descendent en boucles sur ses épaules, son teint pâle fait ressortir ses yeux noirs ; à ce moment, Julien remarque son air d’animal traqué ; sans hésiter, il va vers elle, la prend par la taille, l’embrasse au moment où les soldats arrivent près d’eux et la fait monter dans le train de Coutances avec lui. Un soldat l’attrape par la manche, lui demande ses papiers. Julien lui présente sa carte d’identité et sa convocation portant le tampon de la gendarmerie ; le soldat montre la jeune fille qui s’est éloignée dans le wagon ; Julien commence à lui expliquer qu’elle est sa fiancée, qu’elle l’accompagne. Sur un coup de sifflet, le train démarre, et prend de la vitesse malgré les signes du soldat…

Julien rejoint la jeune fille :
- “ Excusez-moi, mademoiselle, j’ai cru comprendre que vous aviez peur des soldats ; j’ai fait ça sans réfléchir, je suis désolé.
- Je vous remercie au contraire, je n’ai pas de papiers, j’ai dû quitter Paris précipitamment. Vous avez vu comment je suis habillée !
- Du temps qu’il fait, vous devriez avoir un manteau !
- J’en avais un , je l’ai jeté !
- Jeté ? Du froid qu’il fait !
- Oui, dans une ruelle…
- Mais pourquoi ?
- A cause de l’étoile !
- L’étoile ?
- Vous êtes donc à ce point ignorant de ce qui se passe ailleurs ?
- Je le crains, oui.
- Alors je vais devoir vous raconter.
- Je m’appelle Julien…
- Et moi Sarah. Pourquoi voyagez-vous ?
- Je vais voir un ami dans la Hague.
- La Hague ?
- Oui, tout à la pointe de la Presqu’île. Il va m’aider à trouver du travail.
- Parce qu’il y a du travail par ici ? Moi, je suis étudiante.
- Pourquoi avez-vous dû partir ainsi ?
- Quand je suis rentrée chez mes parents hier soir, la police allemande sortait de l’immeuble ; mes parents étaient avec eux ; ils les ont fait monter dans un camion. Mon père m’avait prévenue que cela arriverait sans doute un jour, comme aux autres ; si par chance j’y échappais, je devrais fuir sans me retourner. Deux soldats sont restés dans l’immeuble, j’ai compris qu’ils m’attendaient, alors je suis partie. J’ai jeté mon manteau sur lequel était cousue l’étoile de David, identifiant les juifs. A la gare Montparnasse, je me suis cachée dans un wagon ; je me suis endormie. C’est le départ du train qui m’a réveillée. Je n’avais aucune idée d’où il m’emmenait, mais c’était sans importance ; j’ai décidé de rester dedans le plus longtemps possible. J’ai pu échapper au contrôleur, mais à cette gare, quand j’ai aperçu les camions de soldats, j’ai eu peur ; je suis descendue, mais ils étaient déjà là, et sans vous…
- Mais que vous auraient-ils fait ?
- A Paris, il arrêtent tous les juifs. Pas ici ?
- Je ne sais pas …
- Je suis juive, comme mes parents. Où les ont-ils emmenés ?

Elle s’est mise à pleurer doucement. Julien ne sait pas quoi faire ; il passe son bras sur ses épaules, elle pleure contre lui. Il n’a jamais osé toucher une fille de cette façon ; il se dit que c’est à cause de la guerre, de sa décision d’aller se battre.

Le Secret d'Omonville

Publié le 12/06/2007 à 12:00 par cahierscotentin
Le Secret d'Omonville
SORTIE LE 15 JUIN : "LE SECRET D'OMONVILLE"
242 pages - 10 euros

Deux extraits d'introduction pour vous mettre en appétit :

"A Montbray, petite baronnie du Comté de Chester et d’Avranches, le château était construit sur un éperon entre deux modestes ruisseaux, presque au sommet de la colline verdoyante qui dominait la vallée. Simple tour de bois carrée haute d’une dizaine de mètres, entourée d’une première enceinte circulaire en hauts troncs de chêne fermée par une poterne en granit du pays protégée par une barbacane, elle surveillait la route proche, ancienne voie romaine dont le dallage restait visible par endroits, reliant encore à cette époque Caen à Avranches, et au-delà la Bretagne.

Construit plus d’un siècle plus tôt par Geoffroy de Montbray, il était en cette année 1160 le fief du baron Egmont, chevalier normand de noble lignée, vassal du roi Henri II, fidèle à son roi et aux traditions de sa race. Il avait épousé en justes noces chrétiennes dame Alwine, fille d’un chevalier anglais proche de son oncle Robert, dont il avait un fils Tancrède ; mais la tradition normande autorisait qu’il partageât aussi la couche de la jeune et fort jolie Edith, sa « frilla », dame de compagnie de la baronne Alwine. Edith était en cette fin d’été sur le point de mettre au monde un petit bâtard de sang noble, tout comme l’était Guillaume le Duc vénéré.

Ainsi naquit Amaury, en ce 20 septembre 1160. Egmont s’était réjoui de cette naissance d’un second fils, gage de la perpétuation de son nom…
………………………….

29 décembre 1170
Les portes de la cathédrale s’étaient ouvertes avec violence, provoquant l’interruption inquiète des chants religieux ; un silence de mort avait pendant quelques instants accompagné l’irruption des quatre silhouettes massives dans le contre-jour du fond de la nef majestueuse. Thomas Becket qui présidait l’office s’adressa aux barons sacrilèges :
- « Messeigneurs, vous entrez dans la maison de Dieu où se tient un office sacré. Asseyez-vous en silence et priez. Nous parlerons après.
- Evêque arrogant, obéis à ton roi, ou acceptes-en les conséquences ! avait hurlé Réginald
Le cliquetis des épées sortant de leurs fourreaux avait couvert ses dernières paroles. Brutalement le silence fut brisé par les hurlements des barons déchaînés courant vers l’autel l’arme pointée. Seul Egmont de Montbray était resté figé au fond de la nef, effrayé par l’issue inéluctable de cet affrontement auquel il refusait de croire. Marchant derrière eux d’un pas angoissé, il appela aussi fort qu’il put :
- « Guillaume, Réginald, que faites-vous ! Arrêtez cette folie ! »
Sa voix se perdit, repoussée sous les voûtes altières par les injonctions de soumission dont les quatre barons accompagnaient leur course.

Fasciné, Amaury suivait les barons dans la nef latérale, de pilier en pilier. Il entrevoyait l’évêque qui les attendait, crosse tendue vers eux...Comme les hommes d’armes atteignaient les marches du chœur, il mit un genou en terre et cria comme Jésus en croix « Père, pardonnez-leur… » Il ne put en dire davantage. Sous les yeux horrifiés de l’enfant resté prostré derrière un pilier, les chevaliers avaient jeté l’évêque à terre et le frappaient l’un après l’autre en criant « Au nom du Roi » ; soudain, le plus brutal, Réginald Fitz-Ours, le saisit au col, le souleva comme un fétu et avec un hurlement de rage lui fendit le crâne d’un coup d’épée.

Les quatre ont alors frappé sauvagement…
Toute cette folie meurtrière n’avait duré que quelques minutes, qu’Amaury avait vécues les yeux écarquillés comme dans un cauchemar, fixés sur son père dont il devinait le désespoir. Il n’avait pas encore pu bouger de sa place ; il tremblait de tous ses membres, enfant effrayé par la fureur des hommes. Dans le calme revenu, le murmure des prières des prêtres prosternés remplaçait le tumulte.

C’est alors que l’écuyer aperçut la mitre qui avait roulé au bas des marches, dans l’ultime bousculade qui avait précédé l’irrémédiable forfait, petite mitre ordinaire en soie rouge moirée, qu’il portait quotidiennement quand il entrait dans la cathédrale. Sans plus réfléchir, l’enfant la ramassa comme on cueille une fleur et s’enfuit par une porte latérale…

Ronds-Points

Publié le 29/05/2007 à 12:00 par cahierscotentin
Allez donc visiter le site "http://www.sens-giratoire.com". On y trouve tous les ronds-points de France sauf un. Je leur ai promis de remédier rapidement à cette lacune car il joue un rôle important dans mon histoire. C'est à leur demande que je la mets sur mon blog, pour leurs visiteurs.

ROND-POINTS

En venant de la Hague, un premier rond-point vous attend pour vous faire entrer dans la Communauté Urbaine de Cherbourg. Il est une miniature d’un paysage de Gréville, avec sa barrière et le puits de Gruchy, immortalisé par Jean-François Millet. On le contourne tranquillement pour s’engager vers la ville. A la sortie du virage, l’odeur lourde du varech vous saisit à marée basse ; elle ne vous lâchera plus jusqu’à la Saline, emplissant les poumons des piétons marchant ou courant le long de la digue, des cyclistes fânant ou fonçant sur la piste cyclable, maudissant les piétons égarés. Mais avant cela, un deuxième rond-point veille à la bonne répartition des voitures à l’entrée d’Equeurdreville.

Là, on est tenté d’en faire plusieurs fois le tour, s’interrogeant sur la symbolique de son décor ; sur un fond de galets bétonnés, des pieux de bois se dressent, noirs comme des traverses de chemin de fer. A t-on voulu rappeler les “asperges de Rommel”, hérissant nos plages pour entraver le débarquement ? A moins qu’il ne s’agisse d’une allégorie maritime des colonnes de Buren, sans les rayures ? Il y a bien un petit quelque chose des bouchots à moules, mais ils sont plutôt plantés dans le sable.

Mon fantasme avec les rond-points, c’est d’imaginer, et cela me fait peur, qu’une voiture oublie de les enrouler et se précipite pour les traverser de part en part. Ce sont des choses qui arrivent ! Eh bien je peux vous assurer qu’avec celui-là, rien que d’y penser je ferme les yeux. Ses concepteurs n’ont laissé aucune chance au malheureux téméraire ! La dissuasion doit être efficace puisqu’à ce jour, personne ne s’y est frotté.

J’ai envisagé une autre hypothèse, plus “politique”. Les gens d’ici se souviennent qu’avant, ce rond-point était occupé par un bosquet, à l’origine quelques buissons colorés qui avec le temps avaient investit l’espace, s’étaient entremêlés, créant un genre de petit bois, que des adeptes de Robin transformaient en forêt de Sherwood à chaque manifestation anti-nucléaire, et particulièrement à chaque fois qu’un convoi de déchets radio-actifs cherchait à rejoindre le port. Tel le char à banc du Prince Jean récoltant les impôts, le convoi avançait escorté d’une armée de gardes mobiles, casqués et vêtus de noir, chargés de nettoyer les abords du chemin des terroristes. Imaginez-vous qu’un soir, aux informations régionales, alors que je suivais le reportage de l’évolution d’un convoi de déchets japonais, la caméra s’était trouvée idéalement placée pour assister et retransmettre en direct l’attaque des antinucléaires surgissant des bosquets les pancartes brandies, et la riposte de la soldatesque. En gros plan, on nous montre deux vaillants gendarmes rattrapant par les pieds un manifestant qui tentait de leur échapper en plongeant dans les buissons ; ils le traînent sur la chaussée et sans plus de ménagement le balancent sur la piste cyclable de l’autre côté ; heureusement, c’était marée basse sinon ils semblaient déterminés à le jeter à la mer ! L’individu était fort heureusement vêtu d’un épais blouson qu’on appelle “bomber”, noir dehors et orange dedans, qui dans le mouvement lui était remonté par- dessus la tête ; la caméra le suit tandis qu’il se relève en se frottant les côtes, et là stupeur : le robinesque protestataire, c’est mon fils ! La France entière vient d’assister en direct à la lutte de mon fils avec les rhinocéros du Prince Jean ! J’en pleurerais de bonheur. C’est vrai qu’on les a éduqués tout petits à être d’efficaces protestataires. Il me revient des images de l’époque où, chemise à fleur et barbe au vent, je l’emmenais dans sa poussette à travers les rues d’Equeurdreville saluer à grands cris la longue cohorte noire qui s’étalait en rangs serrés sur les fortifications de l’arsenal ; à défaut de leur lancer des fleurs, c’est notre langage alors qui était fleuri…

Donc j’ai formé l’hypothèse que, las de poursuivre des individus hostiles au progrès et à la civilisation dans les bosquets du rond-point, l’administration ( ne me demandez pas laquelle ! ) a dû considérer qu’en rasant tout et en y plantant des piquets, on réglait le problème ; allez donc vous cacher sur ce rond-point tel qu’il est aujourd’hui ; quoique s’ils avaient bien regardé mon fils, maigre comme il était à l’époque, je pense qu’un piquet lui suffisait ! Autre avantage, c’est que s’ils persistaient, on pouvait toujours les y attacher, aux dits piquets…

Enfin, je dois en être à quinze tours, il faut avancer.

Traverser Cherbourg n’apporte rien en matière de rond-point. Il y a bien celui de Poole, mais celui-là ne me fait pas peur puisque la route le traverse de part en part ! Aucun obstacle au milieu ! Il faut juste respecter les feux, quand même !

C’est au sortir du tunnel du Pont de Carreau que jaillit l’émerveillement. Combien de mes amis horsains m’ont posé en arrivant chez moi la même question ébahie : c’est quoi cette statue au milieu du rond-point ? Euh… laquelle ? Thémis ou l’autre ? Ah, parce qu’il y en a deux ? Oui, deux ! L’autre surveille l’entrée de la gare maritime ; la Loi et La Justice veillent sur Cherbourg ! Cadeau de la République ! Nous avions hérité il y a quelques années d’un grand homme ( à peu près 1,85 m) qui avait donc le bras long. Elu député de Cherbourg, et président de la CUC, il profita de son influence et de ses amitiés pour faire offrir à sa ville deux statues qui ornaient auparavant les abords de l’Assemblée Nationale, et qui s’étaient trouvées reléguées dans un coin de cour à l’occasion de travaux. Tout le monde se grattait la tête pour décider d’un usage pour cet encombrant rebus. Notre dynamique et généreux Olivier proposa donc une solution qui soulagea l’assemblée : offrons-les à Cherbourg, ils ont une imagination débordante, ils sauront bien quoi en faire. Au pire, ils les jetteront dans le bassin de retenue qu’il faut combler ! Ainsi fut fait, et vive la République ! Il se trouvait que deux ronds-points tout neufs attendaient d’être meublés, l’occasion fit le larron ! Croyez-vous que la ville lui en fut reconnaissante ? Même pas ; il dut prendre ses cliques et ses claques pour s’être offert une claque dans un meeting où sa clique lui faisait défaut. Pauvre Olivier ! Ce que je regrette le plus, ce sont ses inénarrables cravates qui avaient fort impressionné mon fils, pas le protestataire, l’autre plus jeune, quand avec son école ils attendaient les cendres de Bartok sur la coursive de la Gare maritime. Ah cette large cravate jaune flottant au vent, c’était d’un kitch ! …

Continuons notre visite des rond-points ; ceux du boulevard de l’est sont désespérants de platitude, à vous couper toute envie de vous envoyer dans le décor ! Celui de Pénesme qui devait faire le pendant extrême à celui de la Saline a toujours ses bosquets ; mais là ils n’intéressent personne : aucun convoi nucléaire ne s’est jamais aventuré jusqu’ici.

Donc, remontons l’axe nord-sud pour rejoindre le “Rond-Point André Malraux”. Celui-ci borne l’entrée de l’agglomération. Le touriste arrivant d’où il veut en Europe passe nécessairement là ; autant en profiter pour rendre hommage à un vrai grand homme. Je me demande cependant à chaque fois que j’y passe pourquoi a t-on affublé André Malraux d’un pressoir à pommes ? Si quelqu’un connaît la réponse …? Pour ce qui est d’alimenter mes angoisses, celui-là tient la première place. On a construit en son centre une montagne ! Ils ne devaient plus savoir quoi faire du surplus de remblai, et ils ont tout mis là : un authentique terril nordique au creux duquel est niché le pressoir à pommes et la petite stèle “Rond-Point André Malraux” ; si on le rate en venant de Valognes – il faudrait être gravement miraud mais ça arrive- , on va droit dans le mur. Personne ne s’y risque. Alors que de l’autre côté, il en est qui se laissent tenter ; régulièrement, des traces montent presque jusqu’au sommet, comme si leur auteur avait cherché à franchir la colline. Pauvre inconscient ! De l’autre côté, c’est un à-pic abrupt, au fond duquel se niche le pressoir ! En granit ! Heureusement, personne n’a gagné pour le moment ; ils essayent, mais inexorablement au bout de quelques mètres, la trajectoire s’incurve vers la droite, et revient sur la route en contrebas. Peut-être devrait-on mettre au sommet une cloche, comme dans ces jeux de foire pour les costauds où on lance à l’assaut d’un tremplin un lourd chariot ! Le gagnant est celui qui fait sonner la cloche ! Ce serait motivant, vous ne trouvez pas ?

En revenant vers Cherbourg, on découvre un spectacle champêtre et changeant. Une maisonnette éclairée la nuit, une charrette qui transporte tantôt des fleurs tantôt des pommes, les silhouettes en osier d’un cheval et d’un faucheur. Il m’est arrivé une aventure étrange à ce rond-point. J’étais parti un matin pour une réunion professionnelle à Saint-lô ou à Caen, peu importe. J’avais fait le tour du rond-point ; j’aime bien faire un tour, ça donne le temps d’admirer le travail des jardiniers qui se donnent du mal pour nous ; la lumière était encore allumée dans la petite boulangerie, car c’est indéniablement une boulangerie, avec son four sous son auvent de tuiles ; la maisonnette elle-même à l’air confortable et j’ai toujours pensé qu’elle serait un bon refuge pour un sdf…

A mon retour, j’ai été étonné en descendant vers le rond-point : le faucheur n’était plus là ; je me suis arrêté un peu plus que de raison, ce qui a énervé celui qui me suivait. J’ai donc fait mon tour comme à mon habitude, et là j’ai failli lâcher mon volant ! Comme je terminais mon tour, l’homme sortit de la maisonnette, s’assit sur la pierre au coin de la porte et bailla ! J’avais vu cela très vite car je ne pouvais pas m’arrêter ! J’ai refait un tour. Il avait eu le temps de rouler une cigarette. La nuit commençait à tomber et la lumière à l’intérieur s’était allumée. Au troisième tour, il s’étirait sur le pas de la porte en regardant l’herbe coupée autour de lui. Quand je repassai au quatrième tour, il leva vers moi son grand chapeau de paille et rentra dans la maisonnette.

Je pris enfin la direction de Cherbourg où ma femme m’attendait. Je devais faire une drôle de tête car elle s’inquiéta aussitôt : “ Qu’est-ce qui t’arrive ? Ton conseil d’administration s’est mal passé ?” “ Non, mais il vient de m’arriver un drôle de truc ; imagine-toi…” et je lui racontai ce que je venais de voir. Elle me regarda d’un drôle d’air, renifla mes vêtements, souleva ma paupière. “ Allez viens t’asseoir, on en reparlera demain…”

Michel LEBONNOIS
DANS "DERNIERES VOLUPTES"

Une Nouvelle

Publié le 23/05/2007 à 12:00 par cahierscotentin
Vous êtes nombreux à être passés ces derniers jours, et j'étais en rade ! Plus moyen d'accéder à mon blog ! Enfin le problème est en partie résolu. Donc je vous donne en une seule fois cette histoire qui nous a bien fait rire avec Florent.

QUAND LE NEZ DE JOBOURG ETERNUA
conte

Ecrit avec et Pour Florent, six ans, déjà passionné par l’histoire du monde

A l’aube du monde, il y a des millions d’années, les Terres formaient une seule masse au milieu d’un océan qui abritait les prémices de la vie.
Quelque part au milieu de ces Terres, une colline parmi tant d’autres se tenait au chaud sous ses forêts.
Cette masse était en permanence agitée de soubresauts, frappée par les orages, bousculée par les vents ; des volcans immenses explosaient dans les vallées et la masse craquait et se brisait. Elle se mit à se disloquer, des morceaux partirent à la dérive, flottant sur le magma que vomissaient les volcans. La mer emplissait les vides entre les morceaux de Terre qui devenaient des îles ou des continents.
La colline restait au chaud sous ses forêts. L’eau s’était rapprochée, mais elle était quand même encore bien loin. Les vents courant autour de la Terre ne faisaient qu’agiter la cime des grands arbres et les pluies torrentielles arrêtées par les épaisses frondaisons ne pouvaient pénétrer qu’en rosée bienfaisante jusqu’à l’humus qui lui servait de couverture. Elle se trouvait bien ici, ses rochers solides sentaient la chaleur de l’épaisse couche de feuilles, d’herbe, de champignons, qui la recouvrait, et dans laquelle commençaient à s’agiter des vers et des insectes, premiers instants de l’évolution animale.
Ainsi vécut la Terre pendant quelques millions d’années. La Vie dans les mers apparut. Les bulles de l’océan remplirent l’atmosphère d’oxygène, et les animaux qui avaient besoin de ce gaz vital purent alors se développer.
Passèrent le Trias, première époque des dinosaures, puis le Jurassique, deuxième époque avec de nouveaux dinosaures encore plus gros, enfin le Crétacé et l’énorme et invincible Tyrannosaurus Rex.
D’autres nouvelles espèces d’animaux peuplaient peu à peu la Terre, se nourrissant d’herbes, de feuilles, ou se mangeant entre eux. La colline sentait cette vie courir sur son échine, et la chaleur des bêtes qui dormaient à l’abri de ses forêts.
Mais un jour qui dura sans doute plusieurs siècles, la tempête devint encore plus violente. Des vents furieux firent le tour de la Terre à des vitesses vertigineuses, penchant la tête des arbres jusqu’à toucher le sol, arrachant les plus fragiles qui partaient dans le vent jusqu’à la mer. Des volcans apparurent où il n’y en avait jamais eu, provoquant de nouvelles cassures et poussant au loin des nouveaux morceaux de Terre.
Les animaux fuyaient effrayés, martelant de leurs pas lourds le dos de la colline inquiète. Elle sentait cette folie du Monde jusqu’au fond de ses entrailles de granit. Une nuit où la fureur des éléments était encore plus intense, elle sentit craquer et geindre ses rocs qu’elle croyait invincibles, et un énorme morceau se détacha, partant sur la mer comme un bateau ivre, laissant de place en place des petits morceaux. L’océan pénétra en un flot furieux dans la faille et roula ses vagues jusqu’au pied de la colline, arrachant les arbres protecteurs, emportant l’humus bien chaud. La colline bien tranquille se retrouva falaise attaquée par la mer à longueur de jours et de nuits.



Au pied de la falaise, un long rocher en forme de nez résistait vaillamment, éperon qui brisait les élans de l’océan. Jamais il n’avait eu aussi froid. Il faisait face aux éléments que sa résistance déchaînait encore plus. La mer attaquait ses pieds, emportant à chaque assaut les pierres les plus tendres, ouvrant en son sein des brèches profondes. Les vents que plus rien n’arrêtait s’appliquaient à lui arracher le peu d’humus qui réchauffait son dos.

Et ce qui devait arriver arriva : le froid du vent s’acharnait sur son dos dénudé, et la mer portait l’humidité jusqu’au plus profond de son ventre. Il se mit à frissonner puis à trembler de plus en plus fort. Le long nez s’était enrhumé.

Soudain, toute la colline fut prise de soubresauts ; une brèche profonde s’ouvrit à son pied, de laquelle surgit un ENORME éternuement, un terrifiant ouragan qui repoussa au loin la mer et les îles, découvrant le sable et le limon qui furent projetés dans l’espace, provoquant un noir nuage de poussière qui cacha le soleil. Cela se reproduisit plusieurs fois pendant les jours suivants, bousculant les petites îles comme de vulgaire cailloux ; une faille s’ouvrit dans laquelle s’engouffra la mer en un flot furieux. L’obscurité avait recouvert la Terre. Les animaux affolés se ruaient les uns sur les autres ou se noyaient dans la mer.

La poussière qui retombait recouvrait la végétation.

En peu de temps, toute vie, privée de nourriture disparut. Le dernier carnivore résista encore quelques semaines, jusqu’à ce qu’il ait mangé la dernière carcasse ; il erra encore quelques temps dans l’obscurité, respirant la poussière mortelle.

Ainsi disparurent les dinosaures.

Seuls les animaux marins, bien cachés au fond de la mer, survécurent jusqu’à ce que la poussière soit toute retombée. Alors revint le soleil, l’herbe et les arbres repoussèrent, et des animaux sortirent de la mer pour s’installer sur la Terre.

Tout recommençait.


Plus jamais le rocher
qu’on appelle aujourd’hui
« Nez de Jobourg »
n’éternua.
Il s’est habitué à vivre
les pieds dans l’eau
et le dos au vent.

Il voit, loin au large,
les petites îles qu’il a bousculées,
et qu’un courant furieux
empêche de revenir.


nouvelles

Publié le 17/05/2007 à 12:00 par cahierscotentin
La Hague était magnifique ce jeudi. Un chaud soleil a remplacé la brume vers midi. Beaucoup de monde sur les chemins.
Je serai samedi 26 mai à la Crêperie "La Gravelette" qui organise un "marché du terroir". Mes livres sont un pur artisanat du terroir !
J'organise la sortie de mon "SECRET D'OMONVILLE" que je confirme pour le 15 juin. DEDICACE DE LANCEMENT LE SAMEDI 16 JUIN A LA LIBRAIRIE "LES SCHISTES BLEUS" A CHERBOURG.
D'autres dates à venir.

Et pour vous faire plaisir, je vous offrirais bien en deux ou trois épisodes un conte que Florent, six ans, m'a aidé à écrire : "Quand le Nez de Jobourg éternua", ou la fin des dinosaures... Comme dit Florent avec beaucoup d'humour : "Enfin, c'est Dadou qui dit ça !" Est-ce qu'il y en a au moins un que ça tente ?

A bientôt

ML

RencontreS

Publié le 03/05/2007 à 12:00 par cahierscotentin
Prochaine Rencontre : vendredi 11 mai, avec Alain Rodriguez, de Bricquebec, auteur de romans plutôt polars et de Nouvelles. Il nous présentera son prochain roman à paraître en juin.

Bienvenue "Autour d'un Verre"

nouvelles

Publié le 27/04/2007 à 12:00 par cahierscotentin
nouvelles
Je vais suspendre pendant un moment mes "feuilletons". Si ça vous manque, dites-le. Mais je suis dans la phase finale de publication de mon nouveau roman "Le Secret d'Omonville", à paraître le 15 juin. Et je fais également une réédition de "DEROUTE" -épuisé- en trois tomes (chaque partie séparèment) en commençant par "Gabelou" dont je vous joins la nouvelle couverture.

Au plaisir

Rien à perdre 4ème et dernier

Publié le 20/04/2007 à 12:00 par cahierscotentin
4-
Il leur reste une heure pour se donner des nouvelles, se retrouver. Il a pour son “petit” Rémy une tendresse bien au-delà du paternel ; il l’a élevé presque tout seul, après avoir dû longtemps consoler ce petit homme de trois ans qui cherchait sa mère. “Tu es là, bien vivant, et un grand chef à ce qu’on m’a dit ! De quels dangers reviens-tu ?” “ Même pour toi, papa, c’est top-secret. Mais j’y pense, si tu prenais l’avion avec moi ?” “ Non ! Les copains ont besoin de moi ; pour eux je reste “rien à perdre”. Mais ne t’inquiète pas, on en viendra à bout ! Ecoute ! ”

Loin sur la mer, un moteur vient de s’arrêter. “ Vite, les lanternes ! ” Ils se sont embrassés, puis Rémy a couru, sa lanterne à la main pour marquer l’extrémité du terrain, là où l’avion va s’arrêter, l’embarquer tout en faisant demi-tour et repartir en quelques secondes. Lui a disposé les deux autres, l’une près de la rivière, l’autre à vingt pas vers les champs.

L’avion est là ; on entend juste le chuintement de l’hélice qui tourne en liberté. Le pilote relance le moteur au moment où il touche le sol ; à peine cent mètres pour qu’il s’immobilise et amorce sur place son demi-tour. Il devine l’ombre de Rémy qui disparaît dans la carlingue, et dans le vrombissement du moteur l’avion repart, lui soufflant sa casquette au passage. “ Bon voyage, fils, à bientôt ”

Il lui faut maintenant sans attendre ramasser les lanternes, jeter dans la rivière la bicyclette inutile et déguerpir ; rejoindre Coutances en passant par le Pont de la Roque et Orval, car s’il doit venir une patrouille attirée par le bruit, c’est par Tourville qu’elle arrivera.

Il a repris son travail de convoyeur dans le Rennes-Cherbourg de sept heures douze en gare de Coutances.

Le chef de gare y cherche encore l’abruti qui a laissé traîner trois lanternes au bord du quai.

Rien à perdre 3

Publié le 13/04/2007 à 12:00 par cahierscotentin
3-
A minuit moins dix, il est allé se poster près des lanternes. Il ne sait pas d’où l’homme va venir. La lune est pleine et le ciel dégagé ; on y voit presque comme en plein jour quand les yeux ont eu le temps de s’habituer.

Des pas, légers, furtifs, mais des pas qui viennent des voies. Un homme approche rapidement. Il se remémore le mot de passe, ce qu’il doit répondre : “Savez-vous d’où il s’envolent ?”.

L’homme est là, à quelques mètres.
“Rémy !”
Le cri est parti tout seul de sa bouche qui reste ouverte de surprise.
“Papa ! Mais qu’est-ce que tu fais là !”

Ça tourne à toute vitesse dans sa tête, il voudrait serrer son fils dans ses bras, mais il est en mission ; et si Rémy est là, au lieu et à l’heure dite… “Je guette les papillons de nuit” C’est venu comme ça ; rester accroché à la mission ; si Rémy comprend tant mieux, s’il ne comprend pas, que va t-il devoir faire ? Si un autre homme arrive ! “J’aime les papillons de nuit.” C’est bien ça, c’est bien lui ! Donner la réponse : “Savez-vous… sais-tu… d’où ils s’envolent ?” “ Oui papa, je sais, on va y aller ensemble.” “ Tu es vivant ! Rien à perdre que je disais ! Mais là c’était tout à gagner ! En route ; tu sais où on doit aller, et je connais le chemin.” Rémy sort une carte de sa poche ; ils prennent les lanternes ; dans le hangar, ils en allument une pour repérer le point d’atterrissage : vingt kilomètres, et il faut y être avant quatre heures ! “ Ben dis donc, ils auraient pu nous donner un peu plus de temps ! En route sans attendre !” En reposant la lanterne pour l’éteindre, Rémy remarque une étiquette à bagages fixées sur une des deux autres ; il la détache et la lit, puis il reprend la lanterne allumée et éclaire le fond du hangar : deux bicyclettes sont entreposées-là ! “Tu vois qu’ils pensent à tout !”.

Ils ont pris la route en direction de la côte, attentifs aux moindres bruits, évitant de se parler car la voix porte loin la nuit. Ils ont traversé Coutances endormi par le couvre-feu, monté à pied la sortie vers Agon, salué quelques kilomètres plus loin l’amiral Tourville. En bas de la côte, la Sienne serpente paisiblemant vers la pointe d’Agon ; dans la lueur de la lune on devine de l’autre côté l’église de Régneville et la silhouette des fours à chaux. De chaque côté de la rivière, le banc créé par les alluvions offre un long terrain plat, rendu cahotique par les moutons qui viennent y paître le pré-salé, mais correct pour les grosses roues du Lysander, cet avion tout terrain, capable de se poser en silence presque n’importe où.


Rien à Perdre - 2ème

Publié le 06/04/2007 à 12:00 par cahierscotentin
2-
Il s’était rendu tranquillement au poste de la gare, avait repéré le conducteur du train pour Rennes : “ Je t’accompagne jusqu’à Coutances.” “ Ah c’est toi ; le chef venait de me prévenir que j’avais un convoyeur, mais il ne savait pas encore qui c’était ; bienvenue à bord !”

Le voyage s’était passé sans encombre ; c’était un train de marchandises qui s’arrêtait peu ; un arrêt à Sottevast pour embarquer quelques bestiaux, un autre à Saint-Sauveur le Vicomte pour accrocher un wagon de paille ; La Haye du Puits, Lessay, Périers. Il était à Coutances à midi. Il avait mangé tranquillement à la cantine de la gare, puis avait pris la route en direction de Saint-Lô. Il aurait pu attendre le Rennes-Caen de dix-sept heures douze, mais un peu de marche lui ferait du bien ; ça ne faisait jamais que dix kilomètres. La campagne était belle ; la guerre ne se faisait pas trop sentir par ici ; parfois des convois allemands passaient sur la route Saint-Lô-Coutances mais la population n’était que peu dérangée. Lui savait, par les bruits qui circulaient parmi les résistants que ce calme n’était qu’apparence, et que la braise était active ; des groupes agissaient, dont il ne savait rien, si ce n’est leurs actions de sabotage : voies ferrées, lignes téléphoniques, circulation de clandestins. Cela provoquait régulièrement des réactions violentes de l’occupant contre les “terroristes” ; avait-il vraiment l’air d’un terroriste ?

Il faisait beau ; il avait marché une bonne heure et s’était assis au coin d’un champ. Il lui restait beaucoup de temps, et la nuit serait longue. L’herbe était épaisse et douce. Il y dormit trois bonnes heures.

Le soleil commençait à descendre au-dessus de Coutances. Il lui tourna le dos pour reprendre sa route Il se sentait en pleine forme. Il pensait à l’homme qu’il allait escorter. D’où rentrait-il ? Quelles informations indispensables aux alliés cachait-il dans ses poches ou dans sa tête ? Peut-être était-il venu organiser des attentats quelque part en zone occupée ? Etait-il un jeune comme son fils risquant sa vie à peine commencée, ou bien un vieux “rien à perdre” comme lui ?

Gare de Belval. Il s’est assis dans un coin du hangard à marchandises ; il n’y vient plus personne à cette heure-là ; d’où il est, il peut surveiller les allées-venues du personnel. C’est ainsi que vers huit heures, il a pu suivre le chef de gare quand il est venu déposer au pignon du bâtiment trois lanternes de voies, de celles qu’on peut mettre en rouge ou en blanc. Il sort de son sac un morceau de pain et diverses victuailles, une bouteille de cidre, et mange tranquillement ; rien ne presse. Drôle de journée où il ne fait que regarder le temps passer.