Samedi 21 février, de 16h à 19h, des Rencontres particulièrement intéressantes :
André Servant, "Lecteur ou Liseur", un passionné de littérature qui a toujours une lecture en cours et plein de choses à en dire.
Jean-Emmanuel Reinhardt, photographe de talent qui expose toute la semaine des vues insolites et superbes du Cotentin,
François David, auteur de romans, mais surtout de contes, histoires, comptines, publié par divers éditeurs et éditeur lui-même - Editions Motus à Urville-Nacqueville -
Sébastien Louis, Auteur-compositeur-interprète, chanteur-guitariste du Groupe "Les Pieds dans le Bocal"vainqueur du Tremplin des Art'Zimutés en 2008, qui nous animera l'apéro entre 18 et 19 avant de filer au concert donné à Chantereyne au profit des Actions pour l'aide à la régularisation des sans-papiers ( RESF et Comité Contre le racisme et les idées d'extrême droite)
Philippe Coëpel -éditeur- Pierre Juhel - peintre - et Serge Mauger - auteur - pour la sortie du troisième opus de la collection Encrages : "Vingt Petits Carrés Hagards" aux éditions "Angles et Perspectives"
Seront également présents : Catherine Rinaldi, auteur dont le livre sort ce mois-ci. Elle reviendra plus formellement invitée en mai.
Cédric Lebonnois, présent exceptionnellement à Cherbourg, qui pourra parler de ses poèmes publiés sous le titre "Sur la rive d'un Miroir"
Et bien sûr, j'aurai aussi mes livres...
A ne pas manquer
Dernières voluptés…
Pour tous les hommes
Qui vouent à leur voiture
Un amour démesuré…
Il rêvait et il en avait les moyens.
Depuis tout petit il en rêvait, depuis le jour où, en vacances avec ses parents, ils s'étaient arrêtés pour regarder une vitrine d'automobiles.
Elle était là, derrière, brillante dans le soleil, rouge, élancée, déployant ses formes arrondies, plantureuse à ses yeux d'enfant de quatre ans. C'était la première fois qu'il voyait une telle merveille et depuis il en rêvait ; pas seulement la nuit, le jour aussi, pendant les cours quand il était plus jeune, dans son bureau de jeune cadre dynamique aujourd'hui. Son bureau était juste à côté de celui de son père, le PDG de cette grande et prospère entreprise ; un jour il n'aurait qu'une porte à franchir.
Il en rêvait et il en avait les moyens.
Ce qui la rendait inaccessible était sa rareté, maintenant qu'elle était devenue une pièce de musée. Il lui fallait courir les expositions, les rassemblements de vénérables anciennes ; mais ceux qui avaient eu la chance d'en posséder une la gardaient jalousement.
En attendant de pouvoir posséder une telle merveille, il s'était marié ; il avait épousé une femme superbe, aux lèvres rouges brillantes, aux formes arrondies à souhait, racée, parfaitement soumise. Il aimait la promener à son bras et sentir sur lui les regards d'envie, les mêmes qu'il portait sur les propriétaires des quelques rares exemplaires de cette merveille dont il rêvait, le jour, la nuit. Quand ils faisaient l'amour, ce qu'elle faisait très bien, il se voyait au volant de sa merveille ; il caressait doucement le tableau de bord soyeux de ses hanches, prenait d'une main gourmande le pommeau de ses seins, et quand il la pénétrait, c'était comme s'il enfonçait l'accélérateur, tout doucement, pour faire chauffer en douceur le fragile moteur de sa merveille ; il l'écoutait ronronner sourdement, puis à coups de plus en plus appuyés, toujours en douceur, il l'amenait à rugir, et alors quelle volupté !
Son rêve lui prenait toute sa vie, il était là, omniprésent dans les choses les plus quotidiennes. Sa femme ne s'en inquiétait pas, et pourquoi donc l'aurait-il fallu ? Quand il parlait de sa merveille qui occupait tout son esprit, elle croyait qu'il parlait d'elle ; quand il évoquait son rouge flamboyant, ses galbes superbes, sa ligne époustouflante, elle redressait la tête et agitait sa splendide et coûteuse crinière blonde ; quand il baissait la voix pour laisser entendre le doux ronronnement du moteur, ou les rugissements de la bête lancée à 5000 tours, elle rougissait un peu, faisait une moue coquine, trouvant qu'il exagérait un peu d'étaler ainsi leur intimité, mais elle lui pardonnait tant il semblait fier d'elle.
Et puis un jour, dans un Salon, il eut le choc de sa vie : son rêve était là, dans les mains d'un vieux monsieur vénérable qui avait apposé sur le volant un petit panneau "à vendre" ! Il s'était précipité tout en retenant son émotion, le chéquier au bord de la poche, le stylo à la main :
- " Quelle déchirement cela doit être de se séparer d'une aussi belle compagne ! "
- " Bien sûr jeune homme, mais voyez-vous, mon grand âge ne me permet plus de lui faire honneur comme elle le mérite, et je crains qu'elle ne s'ennuie ! Je préfère m'en séparer..."
- " Elle sera heureuse avec moi ; j'en rêve depuis que j'ai quatre ans ! D'une passion dévorante ! "
- " Attention jeune homme, c'est un être fragile, il faut la mener en douceur, je dirais même avec tendresse ! "
- " Vous pouvez vous fier à moi ; demandez donc à mon épouse de quelle tendresse je suis capable..."
- " Voyons mon ami, vous me gênez..."
Il l'avait regardée surpris : que pouvait-il bien y avoir de gênant à parler de sa façon de conduire... ah oui, de conduire ?
Ils étaient rentrés chez eux, dans leur magnifique résidence de la Vallée de Chevreuse, lentement, doucement ; il ne fallait pas l'effaroucher en la bousculant dès la première prise en mains. Et puis les regards des gens étaient une véritable jouissance ! Il caressait lentement le doux tableau de bord, prenait dans la paume de sa main la sphère satinée du pommeau des vitesses, enfonçait doucement la pédale d'accélérateur à petits coups très lents et il écoutait ronronner le moteur ; quand il étaient entrés sur l'autoroute, il avait enfoncé à fond l’accélérateur et le moteur avait rugi. Sa femme avait d'émotion poussé un cri qu'il avait trouvé parfaitement incongru...
Le lendemain, il avait découvert son bureau. Pour la première fois, il n'y avait plus de rêve entre ses meubles et lui, il voyait sans écran les papiers sur son bureau, il entendait la voix de sa secrétaire !
Il avait bien essayé de retrouver sa bulle onirique, mais elle n'était plus là ! Il n'avait qu'à se pencher à la fenêtre pour voir sa merveille, qui n'était plus un rêve ! Cette réalité tangible était toute nouvelle pour lui. Il allait devoir s'adapter à une nouvelle vie.
Cela lui devint en un instant insupportable.
A son retour chez lui, il s'enferma dans la salle de bains et prit une douche, longuement, comme pour décoller de sa peau cette réalité qui lui était brutalement tombée dessus, qui l’enserrait comme une gangue.
Puis il s'allongea sur son lit et ferma les yeux pour rappeler à lui son rêve merveilleux. Il n'y avait plus de rêve, qu'une mécanique, superbe, rutilante, ronflante, mais mécanique ! Il n'avait pas pu venir à table.
Son épouse était fort inquiète ; et quand elle le rejoignit dans sa nuisette de dentelle qui laissait voir ses formes qui le faisaient tant rêver, il se mit à vomir et se précipita dans les toilettes ! Elle s'effondra en larmes : c'était la première fois qu'elle lui faisait un tel effet.
Le lendemain, il occupa sa journée à rédiger une lettre qu'il fit porter à son notaire. Et le soir en rentrant du travail, un instant d'inattention précipita la merveilleuse voiture sous un camion qui se trouvait malencontreusement là ! Toute la contrée en fut retournée. Le fils du grand patron, l'héritier des usines ! Sans doute cette vieille bien que superbe voiture n'avait pas résisté à sa façon de la conduire...
Le notaire appela la veuve pour ouvrir la lettre remise la veille : c'étaient les volontés du défunt qu'il s'apprêtait à lire... mais sa voix claire et docte ne put aller au-delà de la première ligne :
" Ma volonté est simple et formelle. Quels que soient le jour et les circonstances de mon décès, demain ou dans cinquante ans, je lègue à mon épouse d'alors la totalité de ma fortune, à une condition incontournable : je veux que mon corps soit compressé dans ma voiture afin d'aller au bout de mon rêve : ne faire qu'un avec elle."
Il n’avait plus pour lire la fin qu’un filet de voix étranglé, à peine audible.
- « Les dernières volontés d’un défunt sont indiscutables ? N’est-ce pas Maître ? Alors qu’on les accomplisse ! Elles sont aussi secrètes ? Merci Maître ! »
La cérémonie d’inhumation avait été à la hauteur de la réputation de la famille. Tout ce que la région comptait d’hommes importants, politiquement et économiquement importants, étaient venus saluer les parents et la veuve de ce pauvre garçon promis à un si brillant avenir. Ils s’étaient inclinés devant le magnifique cercueil qu’ils avaient accompagné jusqu’au caveau de famille…Et puis la veuve était rentrée chez elle.
– « Chez elle, Maître, vous en êtes sûr ? » avait demandé le père du défunt
– Incontestablement mon cher ami ; les clauses de son écrit sont formelles et indiscutables.
– Mais je ne les connais pas…
– Vous m’en voyez navré, mais votre fils a exigé que seule son épouse en ait connaissance. Et les volontés d’un défunt…
– Doivent être respectées à la lettre, je sais, et je n’insiste pas. C’est donc qu’il l’aimait vraiment !
– Sans aucun doute. Avec toutes mes condoléances !
Sur la pelouse de la magnifique propriété dans laquelle vit encore aujourd’hui cette femme aux formes toujours superbes, un sculpture attire l'attention des visiteurs. Aux curieux, elle répond que c'est une compression à la manière de César ; sur le socle en granit rose, une plaque brillante en propose le nom :
« Ma vie en Bugatti »
Elle ne pouvait plus rien faire d'autre, mais elle ne pouvait pas non plus faire moins pour honorer sa mémoire, de la superlative voiture dont avait tant rêvé son défunt époux...
- " Bien sûr, à la manière de César, c'est grandiose. Mais cet extraordinaire rosier blanc que vous avez planté là juste à côté, tellement proche qu'il la caresse de ses feuilles, et que vous avez nommé… voyons… mais c’est le prénom de votre mari ! Vous ne trouvez pas que c'est un peu surfait ? "
- « Non. C’est sa vie… »
Elle partait d'un pas lent, presque langoureux, le regard perdu dans un rêve voluptueux...